Coups de coeur

Nicolas vénérable thaumaturge

Nous fêterons Saint Nicolas le semaine prochaine. Aujourd’hui il est encore une histoire pour les enfants et surtout un gadget de marketing commercial de fin d’année. Pourtant Saint Nicolas a vraiment existé, connu une très opportune vénération internationale et donné naissance à la légende que nous connaissons et qui ne manque pas d’intérêt. Je vous emmène en trois articles successifs à la découverte de ces trois faces de Saint Nicolas. Penchons-nous aujourd’hui sur les raisons de la vénération multiséculaire et internationale de ce thaumaturge du IVème siècle.

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Nicolas, de Constantin à la chute du mur de Berlin
«Dieu écrit droit sur des lignes courbes»

Gerardo Cioffari.

«La naissance à Patare, la dot aux jeunes filles pauvres, l’accession à l’épiscopat à Myre, La persécution, la famine, le concile de Nicée en 325, l’histoire des trois Myrésiens sauvés de la décapitation, ainsi que celle de Népotien et de ses compagnons, la réduction des tributs et la destruction du temple d’Artémis … tout le reste est aux confins de la légende.» Gerardo Cioffari.

Reprenons les choses où nous les avions laissées à la fin de notre article de la semaine dernière. (pour le relire cliquer ici).

Nicolas, évêque de Myre, meurt vers la fin de 333. Si certains situent sa mort 10 ans plus tard, après une décennie de retraite dans un monastère, cette thèse est peu vraisemblable au vu du caractère de Nicolas et de la réputation qui l’entoure déjà de son vivant. Il est enterré à Myre où son tombeau devient vite un lieu de pèlerinage et de vénération. Les agissements de la mère de l’empereur (voir ci-contre) ont contribué à amplifier et asseoir ce phénomène.

La vie post mortem de Nicolas est encore plus compliquée que sa vie terrestre. De miracles en légendes, d’écrits hagiographiques en confusion avec d’autres Nicolas, sans compter les emprunts que ses vénérateurs n’hésitent pas à faire à d’autres figures vénérables, l’histoire de la vénération de Nicolas s’étend avec vigueur sur plus de 13 siècles. S’il elle est devenue moins forte aujourd’hui, elle est encore bien présente comme en atteste l’image du pape François en prière devant le tombeau de Nicolas, en tête de cet article.

Je me suis longtemps posé beaucoup de questions sur l’histoire incroyable de la vénération portée à cet évêque à travers la chrétienté au point de devenir, après la Vierge, Jean baptiste, saints Pierre et Paul, le saint le plus vénéré des églises chrétiennes d’orient et de nos frères orthodoxes. J’en arrive aujourd’hui à la conclusion que le moteur derrière tout cela, c’est la conjonction de trois facteurs : une thaumaturgie avérée, l’héritage de Constantin, et l’évolution de l’ecclésiologie. Aucune de ces trois causes n’est suffisante en elle-même mais ensemble elles vont nous dérouler un tableau dans lequel le culte de Nicolas trouve une place toute naturelle.

Thaumaturge :

(Du grec «celui qui fait des tours d’adresse» il devient, à l’époque chrétienne, «celui qui fait des miracles»,)

Sa réputation de faiseur de miracle s’installe déjà du vivant de Nicolas. Bilocations, guérisons et sauvetages divers lui sont attribués. Ce phénomène n’est pas exceptionnel : pensons au Padre Pio ou à Mère Yvonne-Aimée de Malestroit au XXème siècle. Son culte commence donc dès sa mise au tombeau. Malheureusement, toutes traces écrites ou picturales antérieures à la fin du IXème siècle ont disparues emportées par les violentes poussées d’iconoclasme des VIIIème et IXème siècles qui ont ravagé cette région.
Malgré cela le culte de l’évêque a perduré et s’est propagé jusqu’aux confins des régions germaniques.

Les vecteurs sont tout naturellement, d’abord les marchands et les marins qui font de Nicolas leur saint patron, et ensuite les familles régnantes et de la noblesse médiévale qui ramènent son culte dans leurs bagages au retour de leurs pèlerinages en terre sainte qu’ils effectuent en suivant l’exemple d’Hélène, mère de Constantin. Au cours du temps, des centaines, si pas des milliers, de miracles sont attribués à l’intervention de Nicolas. Il est difficile de balayer ces croyances du revers de la main lorsque l’on voit qu’à travers de l’Europe, on compte encore aujourd’hui environ 6.000 églises (2.000 orthodoxes, 2.500 catholiques et 1.500 protestantes) et des centaines de paroisses qui lui sont consacrées et le nombre de villes et de villages qui portent sont nom.

Parmi tous ces miracles, le  fait miraculeux le plus célèbre lié à Nicolas est sans conteste la production de «manne», huile odoriférante et remède miracle, suintant de son tombeau et récoltée encore chaque année à Bari au cours des fêtes de Saint Nicolas. Ce phénomène attesté depuis le début de la vénération de Nicolas attire de nombreux «pèlerins» qui inévitablement contribuent à la richesse de la ville de Myre. Que deviendrait Lisieux sans Thérèse ou Lourdes sans la grotte?

Basilique Saint-Nicolas à Bari

De Myre à Bari
La richesse apportée à Myre par le culte voué à Nicolas a toujours suscité des jalousies. Beaucoup ont copié la formule mais peu ont eut le même succès.
Dès lors au XIème siècle (1095), prétextant de deux raids menés par les turcs et les mahométans, et à la demande des églises byzantines malgré le récent schisme, le pape Urbain II en appelle au sauvetage des reliques de Nicolas.

L’occasion est trop belle de s’approprier cet aimant à pèlerinages. Au moins deux villes italiennes préparent, chacune de son côté et en secret, une expédition pour ramener de Myre les reliques vénérées. Il y a Venise, la superbe, et Bari, au 5 églises dédiées à Nicolas. C’est cette dernière qui sera la plus rapide et ramènera le corps de Nicolas dans ses murs. Il faudra construire une sixième église pour accueillir la dépouille de Nicolas, les cinq autres étant incapables de s’entendre sur laquelle abriterait le tombeau.
Le corps de Nicolas en Italie, la dévotion de l’Europe occidentale n’en sera que plus grande. Cela contribuera largement à la santé financière de Bari.

Un évêque d’empire
Pour le pouvoir d’empire qui, avec Constantin, installe la religion chrétienne en religion d’état, tout comme pour l’église qui s’installe dans ce rôle de partenaire de l’empire, Nicolas est un parfait prototype de ce qui sera dorénavant attendu d’un évêque. En effet, le changement de statut de la religion chrétienne implique une mutation profonde qui va bien au-delà du bienfait de la cessation des persécutions.

De “églises” à “Eglise”
De façon très schématique, les chrétiens ont évolué à partir d’églises domestiques, de communautés à taille de la famille de l’antiquité, vers des communautés de plus en plus larges. Une constante demeure cependant à cette période, la communauté est première et les prêtres et les évêques sont, selon les préceptes des évangiles, des serviteurs de cette communauté. Bien souvent il sont élus, comme à Myre, puisqu’il n’y a pas d’autorité supérieure pour les nommer.

Une fois religion d’empire, le christianisme ne peut plus se permettre d’être une constellation d’églises autonomes, réunies par le seul concept spirituel de catholicité. La catholicité va devoir se doubler d’une version très concrète d’unité, si pas d’unicité, et pour cela basculer sur sa tête. Dorénavant, l’église sera avant tout une hiérarchie de clercs. Evêque en tête, c’est elle qui incarnera l’Eglise. Sa mission sera de mener les églises de plus en plus unifiées et de faire en sorte que le troupeau des fidèles lui silencieusement obéissant. Dès le départ, l’empereur, chrétien ou pas, y veillera. C’est une question de cohérence de son pouvoir. Dans ce contexte, la figure emblématique de Nicolas, évêque respectueux, est un atout à ne pas négliger.


La conversion massive de païens
Le christianisme des premiers temps se refuse aussi à toute forme de sacrifice, d’auspice, de divination, d’horoscope, de culte d’arbres, de statues ou de demi-dieux. La notion de sainteté telle que nous la connaissons n’existe pas encore. Tous les morts sont saints et frères de Jésus puisque sauvés par son sacrifice.

Ceci n’est plus tenable une fois qu’il va falloir ingérer des masses de païens convertis par opportunisme, calcul politique, ou contrainte. Ils arrivent avec leurs besoins spirituels de magie, de lieux sacrés et leurs cultes de demi-dieux. L’attitude d’Hélène, mère de Constantin, découvreuse de reliques et bâtisseuse de lieux saints, ouvre et favorise l’intégration ce ces notions. L’église, en voie de structuration, va largement faire appel à ces pratiques en leur donnant un vernis chrétien. Ces pratiques seront d’une efficacité redoutable pour encadrer la foule croissante de convertis, sincères ou non. Les miracles attribués à Nicolas, évêque en plus, sont ici une très belle opportunité de “christianiser” ces besoins magiques.

Ainsi tout est en place pour que Nicolas devienne un exemple pour le clergé, un pourvoyeur de magie et un intercesseur de premier plan. C’est ainsi que, porté par un tsunami de vénération, son culte va faire le tour de l’empire. Si aujourd’hui cette évolution de l’Eglise peut nous paraître négative, il faut être conscient que juger ainsi, comme tout jugement rétroactif, est caricatural. Comme le dit ce proverbe portugais cité par Paul Claudel en exergue du «Soulier de Satin» :

«Dieu écrit droit sur des lignes courbes.»

Mais Nicolas n’a pas dit son dernier mot …

Constance Chlore – Hélène – Constantin

Formidable ?
Au cours de 30 premières années du IVème siècle, se négocie un véritable tournant de l’histoire de l’empire et surtout de l’église. Pour le comprendre on doit se pencher sur l’histoire familiale de l’empereur Constantin.

Son père, Constance Chlore (250-306), est un militaire et un politique remarquable. Jeune officier, il participe aux campagnes de l’empereur Aurélien au cours desquels il rencontre vers 272 une « fille d’auberge ». Il s’agit d’Hélène née à Depranum en Bitynie vers 248. Ensemble ils auront un fils, Constantin, né cette même année 272. Constance Chlore gardera Hélène auprès de lui, sans doute comme concubine, jusqu’en 293.

Cette année-là il la renverra pour épouser Théodora, 24 ans plus jeune qu’Hélène et surtout fille de son supérieur hiérarchique, l’empereur Maximien. Avec Théodora, il aura 4 enfants mais, plus important, ce mariage lui permet de devenir César, empereur adjoint. Il sera par ailleurs un grand pacificateur de la Gaule. Bien que ce type de situation soit pas anormal pour l’époque, Constantin a 21 ans et ressentira très douloureusement le déshonneur fait à sa mère et sa propre perte de statut. Marqué par cette expérience, il cherchera tout le reste de sa vie à compenser la blessure subie.

Même s’il a perdu le statut de premier né de son père, Constantin a hérité de lui ses talents de stratège et de politique. Après une bonne éducation à la cour impériale, il s’élève rapidement dans la hiérarchie militaire, rejoint son père occupé à soumettre l’actuelle Grande Bretagne. Lorsque celui-ci se voit nommé Auguste en 305, Constantin prend la tête de son armée et, à sa mort l’année suivante, se fait proclamer empereur par ses troupes. L’empire a alors 7 empereurs proclamés. Après de nombreux combats de succession, Constantin, ayant eu une vision de la croix qui le mène à la victoire, élimine Maxence en 312 à la bataille du pont Milvius. Il est alors, avec Licinius qu’il éliminera en juillet 324, un des deux derniers empereurs à se partager l’empire.

C’est en 312 aussi qu’Hélène, qui a mené une vie des plus discrètes depuis sa répudiation, se convertit au christianisme et rejoint son fils. À l’automne 324, Constantin, devenu seul empereur, fait proclamer « augusta » (impératrice) sa mère répudiée et vengée, attestant ainsi de son influence grandissante à la cour. Il est permis de voir l’influence d’Hélène derrière la proclamation du christianisme comme religion d’état et la mainmise de Constantin, qui n’est pas baptisé, sur les églises chrétiennes trop heureuses de quitter le statut de persécutées. En 325, Constantin, qui entend s’appuyer sur un christianisme unifié, convoque le concile de Nicée dans une tentative de régler les querelles de toutes sortes qui divisent les églises.

Hélène, elle, se rend ensuite en pèlerinage en Palestine (326). Là, selon la tradition, elle découvre à Jérusalem les saintes reliques de la Passion du Christ dont la « Vraie Croix », donnant une impulsion importante aux pèlerinages en Terre sainte, et à l’aménagement des lieux. Elle lance la construction de trois basiliques pour protéger les Lieux Saints et les « grottes mystiques »: celle de Bethléem, celle où le Christ fut déposé dans l’attente de la Résurrection, celle des enseignements.

Elle meurt en 330, Constantin à ses côtés, à Nicomédie au retour de la Terre Sainte. Constantin fait transformer sa résidence, le palais de Sessorium, en une église, la basilique Sainte-Croix-de-Jérusalem. Il fait aussi renommer sa ville natale, Depranum, en Helenopolis. Lui-même décède 7 ans plus tard en se faisant baptiser sur son lit de mort par un évêque tenant de l’arianisme, théologie qu’il avait lui-même fait condamner au concile de Nicée 12 ans plus tôt.

Et Alors…
Ce couple mère-fils, par la liaison qu’il instaure de l’église au pouvoir, et aussi par l’emphase de la « magie » des cultes divers des reliques, pèlerinages sacrés, de lieux saints, va complétement transformer le christianisme en y faisant entrer pour de nombreux siècles le paganisme dont il se défendait.

Le professeur Marie Françoise Baslez, dans son livre «Comment notre monde est devenu chrétien », écrit : « Presque imperceptiblement, les coutumes païennes s’introduisirent dans l’Église ; la conversion nominale de l’empereur au début du IVe siècle causa de grandes réjouissances : le monde, couvert d’un manteau de justice, entra dans le christianisme de Rome.

Alors, l’œuvre de la corruption fit de rapides progrès. Le paganisme paraissait vaincu, tandis qu’il était réellement vainqueur : son esprit dirigeait à présent l’Église romaine. Des populations entières qui, malgré leur abjuration, étaient païennes par leurs mœurs, goûts, préjugés et ignorance, passèrent sous les étendards chrétiens avec leur bagage de croyances et de pratiques superstitieuses. Le christianisme à Rome adopta et intégra une grande partie du système de l’ancien culte impérial ainsi que ses fêtes qui prirent toutes des couleurs plus ou moins chrétiennes. »

Le miracle, ça existe ?
Lorsqu’on parle de miracles les figures se ferment et la polémique couve. Pourtant il ne s’agit pas de savoir si oui ou non des faits miraculeux, extraordinaires, en contradiction avec les lois de la nature, se produisent. Il s’agit de Foi. Non pas de croire au miracle comme un jeu de cache-cache avec l’éternel, mais de croire les miracles comme de la Foi en acte. Jésus le répète tout au long de son enseignement : «Ta Foi t’a sauvé», «Je n’ai jamais vu une Foi aussi grande», «Si vous aviez de la Foi comme un grain de moutarde …».
La nature à l’aube, l’arc-en-ciel après la pluie, le sourire d’un enfant, la nature qui renaît au printemps, se réveiller chaque matin, notre cœur qui bat … sont autant de miracles si nous les accueillons avec Foi. La Foi transforme tout en un miracle qui à son tour ouvre l’âme à la Foi.
Lorsque ce sujet revient sur le tapis, je suis tenté de paraphraser la réponse que fit C.G. Jung à un journaliste de BBC qui lui demandait : «Croyez-vous que Dieu existe ?», il répondit : «Je ne crois pas. Je sais. Je l’ai rencontré dans l’âme de mes patients». Pour les miracles aussi, regardons comment ils ont transformé la vie de ceux qui disent les avoir vécus, et nous verrons la réalité du miracle. Les faits sont sans importance devant la Foi en acte. Ce n’est pas le doigt qui pointe qui importe mais ce qu’il désigne. Le poteau indicateur n’est pas le but du voyage; mais peut-être est-il ce qui nous (re)mettra sur la bonne voie vers la destination.

… et le mur de Berlin ?
Le corps de Nicolas arrive à Bari le 9 mai. Cette date deviendra une des deux fêtes de Nicolas. Ce chiffre 9, comme le 3 dont il est le carré, est considéré par beaucoup comme une de ses signatures.

L’église Saint-Nicolas de Leipzig est connue pour son ancienneté (elle fut fondée en 1165). (…) Nicolas y est toujours connu comme le «protecteur des opprimés», «le libérateur des prisonniers», «le vainqueur des forces du mal».
A Leipzig en 1989, chaque lundi, des foules de plus en plus grandes se réunissaient dans l’église Saint-Nicolas pour prier pour la paix, puis pour demander la liberté, surtout la liberté de sortir du pays. La police politique tenta d’empêcher ces manifestations, et de nombreuses scènes de violence eurent lieu, principalement pendant la première semaine d’octobre.
Le 9, une action de grande envergure était prévue pour «mettre fin à cette contre-révolution, si besoin par la force des armes ». Plusieurs milliers de personnes avaient cependant envahi l’église, et des dizaines de milliers portant des cierges les attendaient dehors. La répression s’annonçait cruelle. Mais au sortir de l’église, alors que l’affrontement avec la police et l’armée apparaissait inéluctable, ceux-ci reçurent tout à coup l’ordre de se retirer dans leurs casernes. Comme le déclara plus tard H. Sindermann, du Comité Central du Parti : «Nous étions préparés à tout. Nous avions tout envisagé. A la seule exception des bougies et des prières.»
Pendant ce temps, 24 000 réfugiés hongrois fuyant la Transylvanie et le Banat roumain se regroupaient devant l’église Saint-Nicolas de Szeged (Hongrie)! Le mur de Berlin devait tomber le 9 novembre.

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