Homélies/Méditation

Toussaint et Halloween

Un jour une connaissance m’a exprimé son « scandale » face à la manière dont les chrétiens avaient « volé » les fêtes ancestrales en les « christianisant ». Il m’a fallu longtemps pour me rendre compte qu’au contraire, le fait d’amener la Bonne Nouvelle au sein de fêtes préexistantes c’était leur rendre une vigueur qu’elles étaient en train de perdre à un moment de grand bouleversement culturel. C’était préserver leur sens profond en incarnant le message évangélique au sein la culture de nos ancêtres. Je lui dirais qu’aujourd’hui c’est la récupération commerciale et mercantile, trop souvent infantilisante de ces mêmes fêtes qui assèche d’année en année l’importante valeur spirituelle, parfois ancestrale qu’elles ont conservé, justement par leur intégration dans notre monde chrétien.

Ainsi, les fêtes de « Toussaint » et celle de « La commémoration de tous les (fidèles) défunts », célébrées de pair aujourd’hui, puisent leurs racines dans notre histoire passée et dans des terreaux différents. L’histoire religieuse et culturelle les a rapprochées, les a accouplées. Aujourd’hui elles s’enrichissent l’une l’autre et chacune apporte son éclairage à notre approche chrétienne et donc humaine de la mort et de la vie au sein de la « communion des saints ».

La Toussaint
Au 4ème siècle s’instaure, chez les chrétiens, une fête de « Tous les Martyrs ». Elle se célèbre à l’octave de la Pentecôte. Le choix de cette date relève d’une logique religieuse. En effet « martyr », voulant dire en grec « témoin » et la Pentecôte étant le jour où l’Esprit pousse les apôtres à sortir et à témoigner, très logiquement fêter « Tous les Martyrs » le dimanche après la Pentecôte avait tout son sens. Nos frères orthodoxes continuent cette tradition.

Au 7ème siècle, en 610, à Rome, le Pape fixa au calendrier la date de la célébration de cette fête qui était jusque là mobile puisque liée à la Pentecôte et donc à la célébration de Pâques. La date choisie fut le 13 mai, fête de la consécration du vieux temple romain du Panthéon en église sous le nom de « église Sainte-Marie-et-des-martyrs ». Voilà encore une forme de christianisation qui a permis à ce vieux temple consacré à « Tous les dieux » de parvenir quasi intact jusqu’à nous. À partir de cette date, notre fête a progressivement migré en occident vers le 1er novembre, date à laquelle elle est fixée pour « l’ensemble du territoire de l’empire carolingien » en 835. A cette période de l’année elle rencontre les antiques fêtes qui tournaient autour des trépassés. Ce n’est qu’en 1914 qu’elle devint « fête d’obligation ». Pour nos frères orientaux elle reste fixée à l’octave de la Pentecôte.

Cet accouplement avec les fêtes ancestrales de l’automne va enrichir le sens de la Toussaint et progressivement le faire évoluer vers la « fête de tous les saints » même les inconnus, ceux qui n’ont pas leur « brevet du Vatican ». La Toussaint nous pose ainsi aujourd’hui des questions sur le sort de nos défunts, la Communion des saints, la vie après la mort, la Résurrection et sur notre foi en la Bonne Nouvelle messianique.

La fête des trépassés
La fin de l’été, le début de l’hiver ; la victoire apparente de l’obscurité sur la lumière ; la fin des récoltes et des vendanges et l’endormissement de la terre …. Fin octobre, début novembre est, dans quasi toutes les cultures ancestrales de nos régions, une période de confrontation aux mystères de la vie et de la mort. C’est l’apparente victoire de la mort sans laquelle la vie ne peut renaître 6 mois plus tard. On compte ainsi dans nos contrées d’innombrables fêtes et rituels comme la fête de Samain chez les Celtes ou simplement des traditions comme des lumières enfermées dans des betteraves ou des citrouilles, illustrations populaires de cette obscurité envahissante enfermant la lumière.

Halloween
Ainsi dans la nuit du 31 octobre, la tradition nous plonge dans le retour de l’obscurité. « Halloween », « Veille de Toussaint », moment propice à la résurgence de nos fantômes et de nos peurs, de nos angoisses, manifestations de nos conflits non résolu, de nos blessures non soignées, de nos remords non assumés… Autant de squelettes, spectres, sorcières, vampires qui cannibalisent notre inconscient. En rire ou les bruler est une thérapie parfois efficace mais passagère qui n’empêchera pas leur retour douze mois plus tard.

L’étymologie du mot « Halloween » est une altération de « All Hallows’ Eve », qui signifie littéralement « veille de tous les saints », c’est-à-dire la veille de la Toussaint. « Hallow » est une forme archaïque du mot anglais holy et signifie « saint ». Nos amis anglophones, lorsqu’ils récitent le « Notre Père », disent encore « Hallowed be Thy Name. » « Que votre nom soit sanctifié ». Et encore « even » est une forme usuelle qui a formé « evening », le soir.  Sa contraction « e’en » est devenue « een ».  L’orthographe « Hallowe’en » est encore utilisée dans certains pays.

Ainsi, les trois jours des 31 octobre, 1er et 2 novembre, mariage de traditions ancestrales et chrétiennes, nous amènent à  revisiter nos relations avec nos « morts ».

Plongés d’abord dans nos frayeurs humaines, questionnés ensuite sur notre foi et fortifiés par le message reçu dans la célébration des Saints, nous pouvons enfin visiter nos trépassés et les retrouver dans un face à face qui est l’occasion de demander et accorder le pardon, demander et accorder la libération des liens, proposer et quémander la guérison des blessures réciproques, entrer définitivement dans une relation apaisée d’amour avec eux …  


C’est tout le sens de visiter et de fleurir une tombe alors que fleurs et feuilles meurent aux alentours. Manifester la vie lorsque la mort s’installe. Dans certaines régions chacun porte sur la tombe des défunts, un luminion, une bougie, une lumière dans l’obscurité qui s’installe.

Belle tradition !